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Karibu!!! Invitation au partage, à une mise en question, à un échange, à une écoute, à une lecture plus approfondie des réalités qui nous entourent,à un enrichissement, et à tant et tant encore. Karibu. Je me réjouis de partager tout ça avec vous!!!! Rafiki

Sunday, April 19, 2009


UN REGARD AFRICAIN paru dans "manière de voir" d'avril et mai 2009

Cheikh Anta Diop, restaurateur de la conscience noire
INTELLECTUEL et humaniste sénégalais disparu en 1986, Cheikh Anta Diop fut l’homme de l’intégrité morale et du refus des compromissions. Dans un contexte de marginalisation accélérée du continent, ses travaux, qui marquèrent le retour de la conscience historique de l’Afrique, appellent à la permanence du combat contre les racismes sous toutes leurs formes.

Par Fabrice Hervieu Wané
Le jeune Cheikh Anta Diop « risque par la mauvaise disposition de son professeur, M. Boyaud, de tripler sa troisième, ce qui motiverait sans aucun doute son renvoi du lycée. M. Boyaud est un singulier professeur, dont j’ai eu l’occasion, dès ses débuts au lycée, de signaler l’attitude hostile à notre race aux autorités. Ses théories sur la race, qui font de lui un disciple de Gobineau, sont des plus pernicieuses et font que le fossé se creuse chaque jour davantage entre le Blanc et le Noir... (1) »

Cette lettre, rédigée en août 1941 par un des responsables administratifs du lycée Van Vollenhoven de Dakar, est adressée à l’inspecteur général de l’enseignement en Afrique occidentale française (AOF). Le Sénégal n’existe pas encore, et le climat qui règne alors dans les milieux de l’enseignement comme dans ceux de la recherche universitaire est fortement teinté de colonialisme et de racisme anti-noir.

Anthropologues et historiens africanistes, égyptologues traditionalistes, pour la plupart français et occidentaux, semblent encore pétris de terribles préjugés : l’infériorité de la race noire, le prélogisme de la mentalité primitive, l’exclusion du monde africain noir de l’histoire universelle... Cheikh Anta Diop va prendre le contre-pied théorique de ce milieu solidement établi dans l’enceinte même de l’université française. D’abord par la présentation de sa thèse, qui sera refusée, ensuite par la publication de Nations nègres et culture en 1954.

Le livre sonne comme un coup de tonnerre dans le ciel tranquille de l’establishment intellectuel : l’auteur y fait la démonstration que la civilisation de l’Egypte ancienne était négro-africaine, justifiant les objectifs de sa recherche en ces termes : « L’explication de l’origine d’une civilisation africaine n’est logique et acceptable, n’est sérieuse, objective et scientifique, que si l’on aboutit, par un biais quelconque, à ce Blanc mythique dont on ne se soucie point de justifier l’arrivée et l’installation dans ces régions. On comprend aisément comment les savants devaient être conduits au bout de leur raisonnement, de leurs déductions logiques et dialectiques, à la notion de »Blancs à peau noire« , très répandue dans les milieux des spécialistes de l’Europe. De tels systèmes sont évidemment sans lendemain, en ce sens qu’ils manquent totalement de base réelle. Ils ne s’expliquent que par la passion qui ronge leurs auteurs, laquelle transparaît sous les apparences d’objectivité et de sérénité (2) ».

Si l’ouvrage dérange les gardiens du temple, c’est non seulement parce que Cheikh Anta Diop propose une « décolonisation » de l’histoire africaine, mais aussi parce que le livre fonde une « Histoire » africaine et se tient aux frontières de l’engagement politique, analysant l’identification des grands courants migratoires et la formation des ethnies ; la délimitation de l’aire culturelle du monde noir, qui s’étend jusqu’en Asie occidentale, dans la vallée de l’Indus ; la démonstration de l’aptitude des langues africaines à supporter la pensée scientifique et philosophique et, partant, la première transcription africaine non ethnographique de ces langues...

Lors de sa parution, le livre semble si révolutionnaire que très peu d’intellectuels africains osent y adhérer. Seul Aimé Césaire s’enthousiasme, dans le Discours sur le colonialisme, évoquant « le livre le plus audacieux qu’un nègre ait jamais écrit (3) ». Aussi faut-il attendre vingt ans pour qu’une grande partie de ses théories se trouve confortée, à la suite du colloque international du Caire de 1974, organisé sous l’égide de l’Unesco et réunissant parmi les plus éminents égyptologues du monde entier (4). Et plus de vingt autres années pour qu’il soit pris acte de son oeuvre après sa disparition. Certaines idées de Cheikh Anta Diop, principalement l’historicité des sociétés africaines, l’antériorité de l’Afrique et l’africanité de l’Egypte, ne sont plus discutées (5).

Mais, à côté de cette « entente cordiale », la controverse porte sur trois points majeurs : on lui reproche son égypto- centrisme, l’importance qu’il accorde à la notion de race et la trop grande influence de son combat politique sur ses théories scientifiques. Bref, son oeuvre resterait trop empreinte d’idéologie. Même s’il est bon de rappeler, comme le fait M. Aboubacry Moussa Lam, professeur à la faculté des lettres et sciences humaines de l’université de Dakar, que « Cheikh Anta Diop n’a pas choisi son terrain de combat : il n’a fait que répondre aux débats de son époque ».

Bien qu’il ne puisse contester les idées de l’intellectuel sur l’origine africaine de l’humanité, M. Pathé Diagne, linguiste-éditeur, ne « partage plus aujourd’hui son égypto-centrisme. Avec le recul, c’est un peu comme s’il ne s’était pas trompé sur l’Egypte mais n’avait étudié que l’Egypte ». Un point de vue partagé par M. Amady Aly Dieng, enseignant et ancien compagnon de route de Cheikh Anta Diop : « Comme Senghor, et c’est peut-être là leur seul point de rencontre, il demeure méditerranéo-centriste dans son approche de l’histoire africaine. Mettant au centre la Grèce pour le premier, l’Egypte pour le second. Et s’il ne développe pas de vision atlantiste, c’est par souci de toujours valoriser la culture noire. C’est pourquoi il passe la traite négrière sous silence. » Une critique que l’on retrouve chez Ibrahima Thioub, historien moderne : « Même si la traite et la colonisation ne représentent qu’une seconde au regard de l’histoire égyptienne, il est impossible de faire l’impasse sur elles. C’est aussi notre histoire et notre actualité à nous, Sénégalais et Africains. Voilà pourquoi je le soupçonne d’avoir accordé trop de poids à l’Egypte, en toute bonne foi, sans s’en être rendu compte. »

Sur un autre plan, si la division de l’humanité en races et le fondement de la distinction Blanc-Noir sont considérés comme relevant d’une raciologie ancienne réfutée par les développements de la génétique, on peut se demander dans quelle mesure il y a lieu de reprocher à Cheikh Anta Diop d’utiliser la terminologie de son époque. M. Alain Froment, anthropologue à l’Orstom, explique que le physicien « est longtemps demeuré résolument fidèle au découpage racial qui avait cours dans la première moitié du XXe siècle et que la génétique a pratiquement démantelé depuis (6) ». Ne donne-t-il pas lui-même, pour signifier ces découvertes de la génétique, les dates de 1982 et 1984, soit quatre et deux ans avant le décès de Cheikh Anta Diop, donc longtemps après la parution de ses principaux ouvrages ?

Comme l’ont montré MM. Mamadou Diouf et Mohamed Mbodj, deux intellectuels sénégalais : « On aurait pu admettre l’accusation de racisme (...)si les dommages subis au nom de la »race« se retrouvaient de manière égale de part et d’autre, ce qui n’est bien évidemment pas le cas. De plus, ce »racisme noir« n’aurait trouvé sa valeur que s’il avait pu créer un complexe de culpabilité chez les Européens, ce qui n’est pas le but de Cheikh Anta Diop. Pas plus qu’il ne cherche à conforter une croyance populaire ; il écrit pour une élite déjà fortement convaincue de l’égalité de l’espèce humaine (7). » C’est pourquoi, s’il demeure incontestable qu’il a utilisé les mêmes armes que ses « adversaires scientifiques », on peut difficilement accuser Cheikh Anta Diop de racisme. Les témoignages sont unanimes pour le présenter comme une grande figure de l’humanisme : « Le problème, explique-t-il dans son intervention au colloque d’Athènes de l’Unesco, en 1981, est de rééduquer notre perception de l’être humain, pour qu’elle se détache de l’apparence raciale et se polarise sur l’humain débarrassé de toutes coordonnées ethniques. » « Je n’aime pas employer la notion de race (qui n’existe pas) (...). On ne doit pas y attacher une importance obsessionnelle. C’est le hasard de l’évolution (8). »

Reste l’influence du militantisme politique sur le discours scientifique (voir l’encadré ci-contre). A une époque où les jeunes intellectuels africains, déçus par le concept de négritude, cherchent une idéologie noire et militante de substitution, pour Cheikh Anta Diop, l’une des conditions d’un fédéralisme continental passe par la conscience. En redonnant une histoire, une conscience historique aux Africains, il souhaite surtout rétablir leur dignité. Qui pourrait lui reprocher une telle démarche, tant les idéologies qu’il combattait semblent tenaces ?

En fait, Cheikh Anta Diop rêvait secrètement d’une synthèse entre ancrage et métissage culturels. « La plénitude culturelle ne peut que rendre un peuple plus apte à contribuer au progrès général de l’humanité et à se rapprocher des autres peuples en connaissance de cause (9). »


Fabrice Hervieu Wané.

Thursday, April 16, 2009


Chers tous,

je ne peux vous dissimuler l' honneur de la rencontre que j'ai pu vivre ce mardi à Shyogwe avec un GRAND homme de coeur, de sagesse et d'expression cinématograpique, mais oh combien modeste devant ses actes et réflexions pointilleuses.....

Permettez-moi de vous le présenter par ces quelques lignes...

Des photos suivront.....

Bonne découverte

En ayant lu et vu les quelques lignes, la question du pardon de la part de la Belgique se poserait, tout comme vient de le faire l'Australie l'année passée ( voir message sur ce blog du 12 février 2008).... afin que ses enfants puissent retrouver avec dignité et respect leur identité entière....

PRESENTATION DE
Georges Kamanayo

Rwanda


Georges Kamanayo est né en 1947 au Rwanda des amours d'une jeune Tutsi et d'un colon belge. Au travers de cette recherche d'identité, le film fait surtout le procès de l'époque coloniale africaine et d'un profond esprit d'intolérance à l'égard de l'amour entre une femme noire et un homme blanc qui ne pouvait ni être reconnu, ni être accepté, ni même être vécu.
Les enfants nés de ces amours interdites s'en trouvaient reniés. Recueillis par l'Église catholique, qui tentait par là de dissimuler les fruits du péché, ils se retrouvaient, à l'indépendance du Rwanda, sans famille, sans racines, sans pays, sans culture propre, éloignés de leurs mères, sans reconnaissances de leurs pères, déplacés où qu'ils soient.
Georges Kamanayo Gengoux a fait le choix de retrouver sa mère au Rwanda et son père en France pour mieux comprendre cet amour caché dont il est né, pour accepter, pour pardonner.

D'abord cameraman free-lance jusqu'en 1982, il crée la société de production Vidéocam l'année suivante, qui travaille pour de nombreuses chaînes de télévision, et coproduit notamment Hop de Dominique Standaert. En 2000, il réalise le documentaire Kazungu.

Il prépare actuellement Ikinyamucho, son premier film de fiction, sur le génocide rwandais.
Il a toujours en tête la création d'un film sur l'Os d'Ishango..... ( os d'ishango - voir sur ce blog article du 27 septembre 2006)

2006... Ikinyamucho (LM, en préparation)
2005... La Fille du Grand Monsieur (Doc)
2003... 1943, l’année perdu de Jacky Barcan
2002... Abo une femme du Congo (Doc)
2001... Kazungu le métis (Doc)

Kazungu, le métis
Un film de Georges Kamanayo

Générique

Auteur-Réalisateur : Kamanayo (Georges)
Production / Diffusion : Simple production, Vidéocam, Radio Canada, CIRTEF, RTBF Bruxelles, Canal plus Belgique SA
Distribution : Simple production
Thématiques


Moyen métrage | 2004 Fille du grand monsieur (La) Georges Kamanayo Gengoux

Titre anglais : Fille du grand monsieur (La)
Réalisateur : Georges Kamanayo Gengoux
Pays du réalisateur : Rwanda
Production : Videocam
Pays de production : Belgique
Durée : 53'
Genre : portrait
Type : documentaire
Emma Dardenne est née au Rwanda en 1908, d'une mère rwandaise et d'un capitain allemand.. En dépit de ses 95 ans et accompagnée de sa fille et son petits-fils, elle decide de retourner au Rwanda à fin de leur démontrer la vérité sus ses histoires d'enfance.

TEMOIGNAGES

film | Burundi
Bulaya, qu'as-tu fait de mon enfant?
par Lydia Ngaruko
date de création : 2004
durée : 46'
genre : historique
type : documentaire
Le film lève le voile, met sur table les cartes à l'origine d'un rapt d'enfants qui s'est produit au Burundi (ancien Rwanda-Urundi) avant 1962, année d'accession à l'indépendance de ces deux pays . Durant la colonisation allemande, suivie de l'occupation belge, le Burundi a connu des unions entre les femmes autochtones et les différentes catégories d'hommes blancs. De ces unions sont nés plusieurs mulâtres dont la trace est quasi inexistante au Burundi, pays de leur origine et dans lequel résident leurs mères.

En réalité, ces enfants, dès l'âge de quatre à cinq ans étaient envoyés dans des foyers dits de civilisation situés au Congo-Belge ou au Rwanda-Urundi, en vue d'une préparation à leur évacuation définitive vers l'Europe notamment en Allemagne et en Belgique. Les religieux, chargés de rassembler ces enfants avec l'approbation des autorités coloniales, promettaient aux mères monts et merveilles pour leur progéniture: un suivi médical, une meilleure éducation condition sine qua none d'une éventuelle ascension sociale.

Dans la majorité des cas étudiés, c'est par menaces et/ou contraintes de la part de l'autorité coloniale que les mères ont dû se séparer de leurs enfants. Elles ignoraient par ailleurs qu'elles ne les reverront plus car les rapteurs omettaient de signaler que "ces enfants de la honte" étaient destinés à l'adoption en Europe. Elles se sont retrouvées privées définitivement de leurs enfants, sans espoir de les revoir et sans possibilité de faire volte face puisque ayant apposé une signature sur les documents soi-disant d'admission à des écoles d'élites.
Certaines tentèrent de retrouver leurs enfants en vain, d'autres se murent dans un mutisme ne pouvant pas crier haut et fort leur double honte: honte d'avoir transgressé la tradition en ayant eu un enfant avec l'envahisseur blanc, honte d'avoir abandonné par la suite l'enfant, acte prohibé dans la culture burundaise.Depuis lors, ce sujet n'a jamais été abordé ni par les différents régimes politiques burundais ni par les deux pays colonisateurs précités. Cet acte reste jusqu'à présent tabou, confinant ces mères (dont la plupart ne sont plus) dans une souffrance incommensurable.

Et ces enfants (l'âge variant actuellement entre 70 et 40 ans) n'en sortent moins indemnes, en témoigne le métis d'origine rwandaise Kamanayo Georges dans son documentaire autobiographique Kazungu, le métis. Où sont-ils? Que sont-ils devenus? Et actuellement, quelle est la perception des Burundais face à ce fait désolant?


Note d'intention de l'auteur


L'événement déclencheur qui a suscité mon désir de réaliser ce film documentaire, Assis sur deux chaises est ma rencontre avec une métisse originaire du Burundi.
N. est née en 1961, au Sud du Burundi, d'une mère burundaise, princesse de la lignée des Bezi et d'un père "présumé" inconnu. Autour d'un verre, cette personne me raconta en long et en large sa vie, une vie parsemée de souffrances propres aux enfants abandonnés. Elle me confirma avec fermeté que son plus grand regret est d'avoir été abandonnée par sa mère "alors qu'on dit que les africains ont plus de cour". Ma première réaction spontanée fut de lui apprendre que l'abandon dans la coutume burundaise est un acte prohibé. Cette réponse ne fit qu'empirer son désarroi.

Après de multiples recherches, je rencontrai d'autres mulâtres burundais dont l'âge varie entre 40 et 65 ans qui me confirmèrent leur désir ardent de retrouver la trace de leur mère, leurs démarches n'ayant jamais abouti à cause de l'altération des noms et lieux de naissance. Ces "orphelins de parents bien vivants" sont le résultat d'un système socio politique de l'époque coloniale qui pensait le monde selon une hiérarchie de couleurs. Un système raciste qui a préféré estropier les mères noires que d'exposer au vu et au su de tous le fruit du comportement des hommes blancs; comportement ô combien humain, hélàs bien domestique.

Durant la colonisation allemande (1896-1916) suivie de l'occupation belge (1916-1962), le Burundi a connu des unions, certes pas toujours libres, entre les femmes burundaises et les hommes blancs. Il en résulta une multitude de métis éparpillés à travers les mille et une collines de ce magnifique pays d'Afrique centrale. Les autorités religieuses prirent soin de recueillir ces enfants et de les confiner dans des institutions spécifiques en vue de leur procurer une bonne éducation. Il fallait les soustraire à la vie béjaune des africains, leur apprendre de bonnes manières et un bon métier d'avenir. Telle fut la promesse faite aux mères qui venaient confier leur rejeton aux bons soins de Patiri ou de Masera, respectivement le prêtre et la sour de la mission locale.

Les institutions pour mulâtres fonctionnèrent durant plusieurs années grâce au dévouement des religieux et quelques bienfaiteurs parmi les colons. Un maigre subside de la part du ministère de la Colonie Belge venait bonifier le sort de ces enfants, dépourvus d'amour maternel, confinés du 1ier janvier au 31 décembre dans ces internats.

Survint alors entre 1950 et 1960, la vague des indépendances en Afrique. Le Rwanda- Urundi ne fut pas épargné. Le peuple opprimé réclama sa liberté dans l'immédiat. L'oppresseur dut se résoudre à écourter son séjour. Il plia dare dare ses bagages n'oubliant pas d'emporter avec lui le signe le plus visible de sa présence au pays des primitifs, à savoir les enfants issus des unions des blancs et noirs.

Résultat : contrairement à tous les pays d'Afrique qui ont été colonisés par des européens, le Burundi est le seul à ne pas avoir de personnes métisses âgées de plus de 45 ans. Comme par enchantement, ces enfants ont atterri en Belgique pour ne plus revenir au Burundi. Comme par hasard, toutes les mères ont cédé pleinement leurs droits à la Belgique d'après les rapports officiels des autorités coloniales.

Et pourtant, si on se réfère à la pure tradition burundaise, cet acte serait en parfaite contradiction avec les pratiques culturelles "rundi" de l'époque. En effet, dans les mours burundaises, un enfant, quel qu'il soit, est un don de Imana, en l'occurrence Dieu. A la naissance, seul l'enfant dit "akamaga ou igihume", enfant fortement handicapé était condamné par les sages-femmes. Les autres enfants "spéciaux" tels les enfants nés hors mariage, les albinos ou les mulâtres ne faisaient guère la fierté de la famille mais restaient sans aucun doute enfants de la famille.

Le documentaire, réalisé sous forme d'enquête tente de déceler et de comprendre les raisons qui ont poussé les autorités de la Belgique coloniale à prendre une décision aussi radicale que malheureuse. Sans vouloir jouer à l'inquisiteur, il nous est impossible de ne pas qualifier un tel acte de crime. Cependant le mobile à l'origine de cette évacuation reste pour le moins obscur. Qui sont les ténors de cette évacuation ?L'ordre serait-il venu "d'en-haut" ? De l'autorité suprême de la Belgique? Ou bien cela résulte d'une agitation de quelques personnes isolées qui, cherchant à ensevelir leurs écarts auraient provoqué un tel désastre ? Et la communauté burundaise de l'époque, pourquoi n'a-t-elle pas réagi ? Plus de 800 enfants peuvent disparaître d'un coup sans susciter une réaction populaire ? A toutes ces questions, il faut trouver une réponse. Quarante ans après ces faits, il était plus que temps de se rendre sur les lieux du "crime" pour récolter les témoignages de mamans survivantes qu'il faudra confronter à ceux des anciennes autorités coloniales, religieuses et politiques.


Quelques extraits des témoignages
- L'abbé Adrien Ntabona (65 ans)

*Docteur en théologie, anthropologue
*Spécialiste en sciences du langage (la linguistique, la sémiotique rundi)
*Fondateur du Centre de Recherches pour l'inculturation et le Développement

"J'étais jeune quand cette histoire est arrivée. Je n'étais pas encore prêtre. Je sais que cela s'est produit(.). Non, les enfants n'ont pas été abandonnés par leur mère. C'est impossible (.)."

- Zénon Nicayenzi (71 ans)

*Premier économiste du Burundi et ministre de la défense du Burundi

"Nous vivions un système d'apartheid (.). Personne parmi les autochtones n'a su réagir (.)."

- Nibobeza Catherine (73 ans)

*Epouse d'un ressortissant belge
*A eu un enfant mulâtre mais décédé

"Mon mari a donné la dot à mon père mais nous ne nous sommes pas mariés officiellement. C'était interdit. (.)Quand il est revenu des vacances en Belgique, il a pleuré de chaudes larmes. Il était muté au Congo, sa mère avait blâmé notre union.(.) Il était fier de moi parce qu'il m'emmenait dans les fêtes de blancs. Je ne comprenais pas ce que les blancs disaient sur cette situation. J'ai appris qu'il est mort au Congo. Je me suis remariée. Il m'aimait et je l'aimais. Il s'appelait Namburjwa. (Bourgeois ? ?)"

- Bigendakumukama Liboire (plus de 75 ans)

*Ayant élevé un enfant mulâtre(fille de son épouse)
* Fonctionnaire de l' Etat Burundais
*Retraité
*S'est rendu régulièrement à Save voir sa fille adoptive

"Mais que voulais-tu qu'on fasse ? Ils étaient les plus forts. Ils avaient décidé d'agir ainsi. Moi-même qui était sensé être civilisé je n'ai pas pu m'opposer au départ de ma petite Albertine.(.) Si tu la vois, dis-lui que je l'aime. J'aimerais la revoir avant de mourir(.)Ca suffit, je n'ai plus envie d'en parler."

- Nyambikiwe Agathe (54 ans)

*Grande sour d'un enfant mulâtre

"J'ai tout fait pour retrouver ma petite sour en vain. J'en souffre. Je veux la revoir. Je veux montrer à mes enfants que je ne suis pas orpheline, que j'ai moi aussi une sour. (.)Je me souviens bien d'elle. (.)Ma mère ? Elle est morte de chagrin, elle s'est décomposée de jour en jour jusqu'à ce qu'elle s'éteigne.(.) Nous n'étions pas pauvres du tout, elle aurait pu élever sa fille"


- Les mulâtres
Je suis née à Bujumbura, d'une mère burundaise (.) et d'un père supposé belge, supposé agronome, mais qui est surtout connu pour s'être imposé légalement inconnu. F.T., 42ans, 2002

Je vois encore le geste méprisant du doigt de la sour chassant ma mère venue me voir à Save.
E. N., 55 ans,2002

(.)En effet, nous ne sommes ni noirs ni blancs.Sommes-nous d'ailleurs des êtres humains ? Ainsi sur mes papiers d'identité, à mon arrivée en Belgique, on hésite à éclater de rire lorsqu'on voit "nationalité : mulâtre" ! F.T., 42ans.

(.) Mes premiers souvenirs remontent à ma quatrième année. J'habitais une case avec ma mère. Je n'avais jamais été en contact avec des blancs. Ma mère vivait avec un noir. De mon père blanc, je me rappelle une ou deux visites. Je ne réalisais pas alors que j'étais le fils d'un blanc. (.) Un jour, ma mère m'emmena dans un bâtiment officiel à Gitarama. Elle plaça son pouce au bas d'un document et je fus amené au poste de mission de Byimana. Là, je vis pour la première fois des métis comme moi. (.) Me voici, G.K., un homme assis sur deux chaises, mais qui a quand même acquis assez de confiance en soi pour dire : je me sens bien sur ces deux chaises, je ne tomberai jamais entre les deux. G.K., 56ans, extrait d'une interview en néerlandais réalisé par Paul Koeck.

(.) Il y avait au Rwanda et au Congo, des orphelinats spéciaux pour enfant métis. Dans mon dossier, c'est très clair, je suis passée dans un de ces camps de concentration au Rwanda où l'on parquait ces enfants très dérangeants. On y recevait une éducation européenne car implicitement, notre passeport de vie était de devenir plus blancs que blancs ! Nous avions de part nos pères, la permission de vivre si notre esprit formé à la virginale blancheur réparait notre peau ! F.T.,42ans.

Réponses des mulâtres aux questions posées par l'abbé Jean Kagiraneza,
Save (Rwanda), le 16/ octobre/ 1957

N'ayant pas de parents, nous sommes vraiment des rejetés, des abandonnés de tous. Nous ne pouvons pas dire ni mon père ni ma mère, en plus pas de parentés (.) .

(.) Quand il s'agit d'une amende, on nous traite comme des blancs mais quand il s'agit de salaire, on nous considère comme noirs (.).

(.) Nous sommes des "Sans -Patrie". Personne n'ose dire Rwanda, Burundi. parce qu'on suppose qu'un enfant est à son père et non à sa mère. Aussi, on ne peut pas dire : chez nous en Belgique ou en Italie ou ailleurs, que faire ? Au moins les métis asiatiques ont un soutien, pourtant les asiatiques ne sont pas chrétiens, et comment auraient-ils plus de charité ?(.).

(.) Les enfants désirent avoir un père et une mère. Etre reconnu par leur père. Il y a au moins la moitié des enfants qui ne savent pas qu'ils sont nés de quelqu'un. Nous avons un prénom pas de nom, on nous appelle comme on veut. Cause : manque de parents. J'entends souvent dire que les garçons mulâtres sont mal éduqués. C'est vrai et bien sûr. Ils vont à l'école, personne ne s'occupe d'eux, ils n'ont aucun appui, ils errent le monde. c'est tout ! ! ! (.).

(.) Nous voulons avoir une meilleure situation. Que nos garçons aient du travail. Pourquoi relever les uns et abaisser les autres. On veut civiliser les Banyarwanda et les Barundi, personne ne se préoccupe du sort des mulâtres. Pourtant nous sommes de deux races, raison de plus je pense pour laquelle on devrait nous aimer davantage (.).


- Les religieux coloniaux

Je vais raconter et je suis arrivée à Save.le hasard ou la Providence. Je suis arrivée en Afrique en 1953, en janvier.(.). Ces enfants doivent partir avant l'indépendance, il n'y a rien à faire. Ils doivent partir. Depuis que je suis arrivée à Save et surtout depuis que j'ai eu la responsabilité de l'internat. C'était pour moi une idée fixe (.). Sour Lutgardis Marie.

(.) La période difficile, c'était les vacances, ou nous les gardions. C'était la période difficile. Nous avions l'habitude deux fois par an de les envoyer à un centre minier, la MINETAIN, dont la direction était assurée par Mr Olbrechts. Sa femme arrangeait pour cela. Nous, on s'occupait de les préparer pour le départ et de les recevoir au retour. Ils ne sortaient pas beaucoup, sinon pour une promenade avec l'un ou l'autre frère, à foot ou à la cour de l'école (.). Mme Olbrechts s'occupait de leur Saint-Nicolas, apportant des jouets et des bonbons, c'était une grande fête (.). Frère Henri Jorissen

(.) Arrive le père Delooz au Rwanda à Nyanza et là, il pose la même question : qui veut aller faire des études en Belgique ? Beaucoup d'élèves se sont présentés parmi celles-ci, une de nos mulâtresses, Oliva qui a dit : ce n'est de nouveau pas pour nous. Alors, le père a dit à Monseigneur Bigirimana, qu'est-ce que c'est comme enfant ? Je n'ai jamais vu un enfant comme ça. Le père Delooz ne savait pas ce qu'était un mulâtre. Il demande à Monseigneur : quelle est la nationalité des enfants ? Ils sont des mulâtres. Mais si vous voulez, je pense vous conduire là- bàs . C'est à 20 km d'ici. Alors, le père arrive à Save. Il a dit : qu'est-ce que c'est que ça ? C'est la suite de notre civilisation que vous voyez ici. Alors, il a dit, on doit faire quelque chose pour ces enfants. Je lui ai dit : tous ceux qui passent ici disent la même chose. On avait déjà eu l'inspecteur royal mais ça restait sans suite. Le père m'a dit : êtes-vous flamande ? J'ai répondu oui. Et alors, si vous êtes un flamand, vous tiendrez parole. Il m'a demandé de lui mettre quelques points par écrit car il repartait le lendemain. Toute la nuit, j'ai travaillé pour mettre au point un rapport. Ce que je voulais : ces enfants doivent quitter le Rwanda avant l'indépendance (.).Sour Lutgardis Marie.

(.)Quand nous avons appris en 1960 que le gouvernement voulait les expédier mais qu'il fallait établir un dossier pour chaque enfant, j'ai commencé à courir et à écrire pour obtenir des certificats de notoriété.(.) Que telle femme, de telle colline avait eu un enfant mulâtre dénommé tel, né telle date. Un vrai certificat de naissance de père neuf fois sur dix inconnu et voilà. J'ai dû établir toutes ces données avec, en plus, une autorisation de la mère qui ne savait ni lire ni écrire, qui reconnaissait que nous pouvions envoyer son enfant en Europe, qu'elle n'était pas capable de s'occuper de son éducation. C'est ainsi que nous avons réussi à les préparer à temps pour un avion militaire.(.) On les a embarqués dans les avions militaires belges (.).Frère Henri Jorissen.

(.) Les métis n'étaient pas menacés de mort à l'indépendance. Il s'agit de quelques filles de Save qui exprimaient leur mépris pour coucher avec des noirs. Je n'approuve pas l'éducation que les soeurs donnaient aux mulâtresses. Il n'y avait (à Save) que des métis, ils n'avaient aucun rapport avec les noirs. Ils étaient convaincus de leurs supériorité. Quand les métis de 12 ans venaient à Nyangezi (Congo), ils montraient du mépris pour les noirs. Il a fallu plusieurs mois pour jouer avec des noirs (.). Frère X

(.) Ce que je n'accepte pas, c'est de ne pas accepter les responsabilités. C'est vrai aussi qu'il y en a qui ignoraient que leurs partenaires étaient enceintes. Mais, par recoupement, on arrivait toujours à connaître le géniteur. Lors du recensement, on interrogeait la mère, ou les voisins du village, ou très vite, on finissait par connaître le géniteur. Les gens décrivaient l'européen présumé, on finissait par connaître le père légalement inconnu. Frère Elie Lamotte.

(.) Mais tous sont enragés pour rentrer en contact avec leur père. Ils leur écrivent des lettres et c'est moi qui reçois les réclamations. Personne n'admet qu'il est père d'un enfant. (.) Gakali Nicolas a 20 ans, il finira ses études secondaires dans 4 mois. Il est fiancé avec une fille de Save. Son père, le prince de Mérode est ambassadeur à Madrid en Espagne. Le jeune homme lui écrit : vous avez vécu avec la mère Gakali et vous l'avez rendu enceinte, je vous considère comme mon père. (.). Sur l'enveloppe, on a écrit personnel. Mais c'est sa femme, la princesse qui a intercepté la lettre et elle m'a écrit pour poser beaucoup de questions. J'ai supposé que cette lettre produira un drame de famille, je n'ai pas répondu (.). Frère X.

(.) Je crois que pour nos enfants, ils étaient abandonnés par force majeure parce que la mère était forcée. Je ne crois pas qu'il y ait une seule fois une qui, par dédain a osé abandonner son enfant. Je ne crois pas.(.). Sour Lutgardis Marie.

Quelques statistiques.


Nombre d'enfants métis présents à Save

Année Nombre
1909 2
1905 à 1929 Entre 15 et 20
1930 21
1935 10
1940 16
1945 35
1950 84
1951 88
1952 98
1953 101
1954 94
1955 104
1956 106
1957 112, refus de 26
1958 113
1959 124, refus de 24
Nationalité des pères présumés

Belges 63
Grecs 38
Italiens 13
Mulâtres 2